C’était un 24 décembre. Nous rentrions de la messe. Un fin grésil nous piquait le nez, mais la seconde partie du réveillon nous attendait et nous chantions en patois, de vieux noëls qui faisaient paraître le chemin plus court.

Ecoute, Djeann, mai mie,                           Ecoute , Jeanne, ma mie,
Novelle tchaincenate:                                 Nouvelle chansonnette:
C’â les aindges di cie                                   Ce sont les anges du ciel
Que tc haintant yos bellâtes.                    Qui chantent leurs cantiques:
Es tchaintant tus: gloria!                           Ils chantent tous: gloria!
Per ensouène: alleluia!                               Tous ensemble: alléluia!
Gloire en l’Eternel                                        Gloire à l’Éternel
Et paix detchu lai tierre!                             Et paix sur la terre !

Il y avait avec nous, cette année-là, une jeune suisse allemande qui venait apprendre le français. Elle était arrivée au printemps et se débrouillait déjà fort bien pour communiquer avec les Welches.Vers deux heures du matin nous étions tous assis autour de la grande cheminée de la cuisine. La conversation languissait. Les vecques cornus [dans le Jura, pains aux extrémités en forme de corne que les parrains et marraines ont coutume d’offrir à leurs filleuls en guise d’étrennes] et les cafés plus ou moins arrosés circulaient sur un plateau quand une voix s’est élevée:
– Eh Anna, si tu nous en racontais une de chez toi ?
– Une quoi ?
– Une histoire de Noël, bien sûr.
Elle a dû penser tout de suite au conte des araignées, Anna. On a vu comme une lueur d’enfance qui brillait dans ses yeux un peu écartés.

Il y a eu un court silence et elle a commencé . . . .

Un 24 décembre, jour de bonheur

C’était un 24 décembre, comme aujourd’hui, mais tôt dans l’après-midi. Dans une grande maison blanche, on terminait les nettoyages de Noël. Il fallait que la demeure reluise des cuisines jusqu’aux chambres de bonnes pour accueillir dignement Celui qui devait naître dans quelques heures, l’Enfant Divin. La maîtresse de maison, une femme aimante, un peu débordée par ses huit enfants, s’était enfin assise dans son fauteuil et regardait le soleil rougissant disparaître entre les sapins. Toute la maison et ses habitants respiraient le bonheur du devoir accompli.

Les araignées sont écartées de la fête

Toute la maison ? Pas vraiment. Dans le galetas où elles s’étaient réfugiées, chassées par les balais, les pattes à poussière et l’énergie nettoyeuse des femmes, les araignées se désolaient.

– Quelle horrible journée ! Qu’avons-nous donc fait pour être pourchassées de la sorte, disait l’une.
– Traquées, anéanties, mais pourquoi donc ? se plaignait la seconde.
– Il y a un mystère là-dessous. Je propose que ce soir, quand tout dormira, nous explorions la maison jusqu’au salon, pour essayer de le découvrir.

Sa proposition a été acceptée. Le temps, lentement, lentement, s’est égoutté jusqu’au moment où enfin, on n’a plus entendu dans la maison que les bruits du sommeil. Alors, en file indienne, les araignées sont descendues jusqu’au salon. La porte était entrouverte. Le réverbère à gaz de l’avenue projetait sa douce lumière jusque dans la pièce.

Les araignées découvrent les préparatifs

Ah! quelle merveille ! Quelle beauté ! Les noires petites bêtes en sont restées figées !

Dans un angle, s’élevant vers les stucs du plafond, un sapin du vert le plus profond : il était décoré de mille splendeurs. Des boules multicolores aux ors mats, des angelots d’argent, des pommes brillantes, des noix, des biscuits d’anis, des biberlis (pains d’épices) pendaient à ses branches, attachés par des fils d’or.

La première, la hardie est sortie de sa contemplation et s’est dirigée vers l’arbre. Puis elle a regardé ses sœurs.Araignée1

Oseront-elles ? Elles ont osé. Avec douceur, pleines d’émerveillement, elles ont parcouru l’arbre dans tous les sens, s’arrêtant qui sur une boule bleu acier, qui sur un ânon de papier ou une aiguille odorante. Elles arrivaient au terme de leur chemin. Le roi de la forêt était maintenant recouvert du haut en bas d’un entrelac d’affreuses toiles grises. A ce moment-là, on a entendu comme un grand vent dans la cheminée et le Père Noël est apparu, les bras chargés de paquets.

Le Père Noël valorise le « travail » des araignées

Il a vu les araignées et les a saluées d’un sourire plein de tendresse puis il a installé les cadeaux sous l’arbre. C’est en se relevant qu’il s’est rendu compte du désastre. Il a imaginé la maman et ses enfants, au matin de Noël, devant l’arbre, des larmes de déception inondant leurs visages. Non, il ne laisserait pas faire ça. Il a tendu ses mains ridées et il a béni le travail des animaux velus. Un léger grésillement s’est fait entendre.

Sous leurs yeux stupéfaits, les araignées ont vu l’arbre se métamorphoser, leur fils si ternes et gris se mettant à briller comme des étoiles. toiles araignéesElles sont remontées dans leur galetas, toujours en file indienne, les yeux plein de la lumière de Noël.

On dit que depuis ce jour-là, de scintillantes guirlandes d’or et d’argent garnissent, elles aussi, notre arbre de Noël. »

Le feu s’était presque éteint dans la cheminée. Les petits s’étaient endormis sur les genoux de leur mère. Nous sommes tous montés nous coucher.

De cette année-là, à chaque Noël, dans le vieille cuisine, on raconte l’histoire d’Anna.

Araignée goutte d'eau sur toile

>> Ami jardinier, si tu ne veux plus considérer l’araignée comme une ennemie mais plutôt comme une amie, qu’elle ne veut que ton bien, alors lis l’article: Plaidoyer pour l’araignée

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